Le Top 50. C'est ce qu'on appelle un cercle vicieux (du point de vue de l'industrie du disque, c'était un âge d'or, un cercle parfait, on ne peut plus vertueux). Tous les samedis soir, Marc Toesca nous révélait qui était le plus gros vendeur de 45 tours de la semaine. C'était rarement bon mais, en même temps, à force de l'entendre... Le samedi suivant, en allant faire les courses, à Mammouth ou à Cédico, il n'était pas rare que je fasse l'acquisition de l'une ou l'autre des daubes qui « squattaient les charts ».
Mon pire achat de tous les temps fut sans conteste « La même eau qui coule » de Michel Sardou, à l'âge de 8 ans.
Un jour, je glissai discrètement le disque dans le chariot de course de mes parents, lesquels n'y prêtèrent guère attention. Seulement, une fois arrivés en caisse, au moment de poser le vinyle sur le tapis roulant, ils eurent une réaction en chaîne, en six temps :
1) mon père pose le vinyle, le regarde avec bienveillance (il aime bien les vinyles)
2) son visage se crispe (il voit que c'est un disque de Michel Sardou)
3) il regarde ma mère et lui indique du regard, entre les cornichons et le Banga, « La même eau qui coule »
4) ma mère regarde le disque et regarde mon père
5) ils pensent : non seulement notre fils a des goûts musicaux qui vont l'handicaper toute sa vie, mais en plus c'est peut-être un con
6) ils posent le PQ dessus
Avec le recul, je pense que ce qui m'a fasciné dans cette chanson (la fascination en question dura une semaine), ce sont les paroles que je trouvais encore plus énigmatiques que celles de la débandade). En attendant une prochaine chronique, je vous invite à les redécouvrir et à les méditer (remerciez-moi, je vous épargne l'écoute) :
De l'homme que j'étais
A l'enfant que je suis,
De mes coffres à jouets
A mes jeux interdits,
Les chevaux de Lascaux,
Les avions de Vinci,
A part les mots nouveaux,
Je n'ai rien appris.
C'est toujours la même eau qui coule,
C'est toujours le raisin qui saoule,
Des hauts-fourneaux de Liverpool,
La même chanson qui fait danser la foule,
C'est toujours la même eau qui coule.
Les amours ordinaires,
Les chagrins inhumains,
On les voit au scanner,
On les lit dans la main.
Quand le vieux Magellan
Découvrit le détroit,
Il y avait des enfants
Qui s'y baignaient déjà.
C'est toujours la même eau qui coule,
C'est toujours le raisin qui saoule,
Des hauts-fourneaux de Liverpool,
La même chanson qui fait danser la foule.
C'est toujours la même eau qui coule,
C'est toujours le raisin qui saoule,
Des hauts-fourneaux de Liverpool,
La même chanson qui fait danser la foule,
La même chanson qui fait danser la foule.
De l'homme que j'étais
A l'enfant qui vieillit,
J'ai suivi le trajet
Que les autres avaient pris.
Des voyages "Apollo"
Au mystère de ma vie,
A part les mots nouveaux
Je n'ai rien appris.
(refrain ad nauseam)